L'impossible origine germanique
L’étymologie officielle regorge de mots d’origine germanique .Cela me paraît extrêmement suspect car il faudrait pour cela que deux conditions au moins soient remplies simultanément.
1 . Il faudrait que le même mot germanique se soit diffusé dans l’ensemble de l’aire des langues romanes. Prenons le mot GUERRE qui se dit GUERRA en italien, en occitan, en espagnol et en portugais.
Cela aurait pu se faire sous l’effet de deux processus
- soit le mot aurait d’abord été adopté par un peuple, puis se serait diffusé à l’ensemble des autres peuples : Processus étonnant à l’époque d’un espace politique et social morcelé, l’empire romain ayant disparu
- soit le même peuple germanique parlant la même langue aurait imposé le même mot partout. On sait que ce sont des peuples très variés et pas nécessairement germaniques qui ont envahi l’empire romain.
2 . Il aurait fallu que les mots germaniques subissent partout la même transformation pour donner un résultat identique dans l’ensemble de l’aire romane.
En réalité la prétendue origine germanique des langues romanes résulte de l’impossibilité de trouver une origine latine aux mots romans et poussent les étymologistes à proposer une autre origine. En appliquant leur principe « ressemblance vaut origine » et en allant chercher dans le vocabulaire d’une langue qui nous est doublement proche, géographiquement et historiquement, ils concluent à une origine germanique.
Voici un extrait de mon livre sur le sujet
L’idée selon laquelle la langue française comprendrait de nombreux mots d’origine germanique et celtique repose sur la méconnaissance de l’origine italienne des langues romanes. Les étymologistes français, découvrant que de nombreux mots n’avaient manifestement pas d’origine latine malgré tous leurs efforts, ont fait l’hypothèse qu’ils avaient été nécessairement apportés par les envahisseurs germaniques, notamment les Francs, ou qu’ils appartenaient au vieux fonds de vocabulaire gaulois. Mais, dans la plupart des cas, une filiation directe de l’italien rend mieux compte de l’origine des mots qu’une prétendue origine francique ou gauloise.
Dans son livre L’aventure des langues en occident, Henriette Walter donne une liste des mots français qui seraient d’origine germanique sous la rubrique « Des mots germaniques à foison ».
Passons au crible les mots en mettant en parallèle leur traduction en italien et l’origine supposée germanique telle qu’elle est indiquée dans les principaux dictionnaires.
Yves Cortez
Bordeaux le 9 septembre 2007
Français |
Italien |
Etymologie officielle |
BOUÉe |
boa |
Viendrait du haut allemand BAUKN |
brÈche |
breccia |
Viendrait du haut allemand BRECHA |
espion |
spione |
Viendrait du germanique °SPEHA |
fourrage |
forragio |
Viendrait du francique (reconstitué) : °FODAR |
guerre |
guerra |
Viendrait du germanique °WERRA |
Jardin |
giardino |
Viendrait du francique °GART |
lucarne |
lucernario |
Viendrait du francique (reconstitué) : °LUKINNA |
marcher |
marciare |
Viendrait du francique (reconstitué) : °MARKON |
Que constatons-nous ?
– Que les mots italiens sont en général très proches des mots français. J’en déduis qu’il serait plus logique, plus simple et plus conforme aux lois de la nature que les mots français viennent de l’italien ancien, et non pas que l’italien ait adopté des motsfrançais, eux-mêmes apportés par les Francs. Par quel canal les Italiens auraient-ils adopté les mêmes mots germaniques et surtout les auraient-ils transformés de la même manière !
– Lorsque des mots français ressemblent à des mots germaniques, cela vient du fait que tous les mots ont la même origine indo-européenne et qu’il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’ils ressemblent à leurs cousins… « germains ».
Le vocabulaire français compte très peu de vocabulaire germanique et celtique. Il est fondamentalement et presque exclusivement italien.
En d’autres termes, la langue de l’envahisseur romain, l’italien ancien, a pratiquement laminé le substrat gaulois ; et plus tard les Francs, quant à eux, ont adopté le français sans marquer le vocabulaire français de leur empreinte. Quand les Francs se sont installés en France au Ve siècle, ils ont pris le pouvoir mais n’ont pas imposé leur langue, ni n’ont influencé la langue française, car ils étaient numériquement minoritaires, et parce qu’existait déjà une langue véhiculaire sur l’ensemble du territoire depuis plus de cinq sièclesC’est parce que nos premiers étymologistes pensaient a priori que le français était fait d’un mélange de différents apports qu’ils ont cru déceler des traces de parlers germanique et celtique.
Historiquement, il y a un autre exemple où la langue n’a pas été affectée par les envahisseurs : le franco-normand. Quand les Normands s’installent en Normandie, en l’an 900, ils arrivent avec une langue germanique dans un pays de langue française. Très peu de temps après, quand les Normands envahissent l’Angleterre (à la suite de la bataille de Hastings en 1066), soit moins de deux siècles après leur installation en Normandie, c’est le parler franco-normand qu’ils apportent en Angleterre, lequel est pratiquement du français. Seule la toponymie en Normandie a gardé quelques traces du passé proprement normand (Le Havre, Honfleur, Barfleur…). Les Normands ont adopté la langue française dans sa totalité. Il ne s’est produit aucun mélange !
L’histoire nous donne des exemples, non pas de mélange de vocabulaire, mais d’intégration d’un vocabulaire nouveau et complémentaire. L’anglais compte un vocabulaire français important transmis par les Normands, de même que l’italien ancien comptait de nombreux mots latins, et que le latin a incorporé de nombreux mots grecs. Chaque fois il s’agit d’apports liés à une culture dominante. Un vocabulaire plus élaboré, qui résulte d’une civilisation plus développée, est adopté par le peuple dominé. Les Grecs étaient plus « développés » que les Latins, qui l’étaient eux-mêmes plus que les Italiens. Les Franco-Normands, forts d’une culture imprégnée par plus de mille ans de civilisation gréco-romaine, apportent avec eux un vocabulaire original qui n’a pas d’équivalent en anglais de l’époque.
D’aucuns seront peut-être tristes de constater que le français ne possède que d’infimes traces des langues de leurs ancêtres gaulois et germaniques. Las, il faut se rendre à l’évidence, le français vient presque exclusivement de l’« italien ancien"